Quittant le Kinnaur, nous entrons par une vallée fluviale, rocheuse et déchiquetée dans la vallée du Spiti, enclave tibétaine en Inde, de près de 12'000 km2. Devant nous se dressent des montagnes enneigées, des déserts de haute altitude et des plateaux verdoyants. Le Spiti est aussi une des régions les moins habitées au monde. Tout au long de la vallée on découvre quelques gompas (monastères) bouddhistes, pour la plupart vieux de plus de 1000 ans, et de rares villages tibétains aux maisons chaulées qui se situent entre environ 3500 et 4500 mètres d’altitude. Le bouddhisme y fut introduit au VIIIème siècle par le moine indien Padmasambhava. Au Xème siècle, le Spiti faisait partie du vaste royaume de Gugé (Tibet occidental). Au XVIIIème le Spiti est rattaché au Ladakh avant d’être placé sous administration britannique en 1849. La région a conservé des liens étroits avec le Tibet jusqu’à l’invasion chinoise en 1949. Aujourd’hui, le Spiti fait partie de l’état indien Himachal Pradesh. Son développement culturel et spirituel est fortement soutenu par le gouvernement tibétain en exil à Dharamsala. Le Dalai Lama a d’ailleurs inauguré la plupart des rénovations ou nouvelles constructions des monastères.
Les maisons chaulées se ressemblent toutes : construites sur 2 ou 3 étages, murs chaulés, toits plats soutenus par de petites poutres en bois, recouvert de branchage et de terre pour solidifier le tout, fenêtre carrées avec des bordures peintes en rouge ou bleu et drapeaux de prières tibétains. Certains villages comportent une dizaine de maisons espacées, d’autres sont construites au sommet d’une falaise et presque construites les unes sur les autres, d’autres encore se situent sur les plateaux et comportent entre 20 et 30 maisons. Mais dans tous les cas, ces villages ne sont quasiment plus accessibles durant la période hivernale.
Certains vivent du tourisme, relativement discret d’ailleurs, mais la plupart des habitants du Spiti vivent de la culture : pommes de terre, blé, orge, haricots. Les cultures sont situées soit sur de minces bandes de terre le long de la rivière Spiti ou sur les hauts plateaux. Parfois, grâce à un système d’irrigation bien pensé, on aperçoit au milieu d’un paysage désertique, un oasis de verdure. Chaque maison possède également quelques ânes pour les aider dans le transport de matériaux entre autres, quelques vaches ou yaks ainsi que des chèvres pour le lait. Les animaux sont « parqués » dans un enclos qui fait partie intégrante de la maison. On a pu observer chaque matin et chaque soir dans les villages un cortège d’animaux. Aucune ségrégation : vaches, yaks, chèvres, moutons et ânes partent tous ensemble chercher de quoi se nourrir et s’abreuver, accompagnés par un des villageois, qui a tour de rôle assume cette responsabilité.
C’est à Langza, petit village à 42oo mètre, sur un haut plateau, composé de 15 maisons et de moins de 130 habitants, que notre chauffeur Nando nous a permis de découvrir de l’intérieur une des « fermes d’alpage himalayennes ». Nous y sommes accueillis par Gatuk. Gatuk a 20 ans. Il est né à Langza et habite avec son père, sa mère et une de ses sœurs. Dans la maison mitoyenne, il y a aussi son oncle et sa grand-mère. A Langza, il a été à l’école jusque vers l’âge de 15 ans. Il y a appris l’hindi et aussi un peu d’anglais. A la maison il parle un dialecte d’origine tibétaine.
Il nous fait visiter les lieux. A côté de la porte d’entrée, il y a l’enclos des animaux. Ils ont deux ânes, deux yaks et une vingtaine de chèvres. Nous entrons par la porte basse (attention la tête) et montons des escaliers en terre. A mi-chemin, une première porte. Derrière, une pièce d’environ 2 mètres carrés avec en son milieu un trou de 30x30cm. On vous laisse imaginer son utilité et l’importance de la gestion de l’espace et de l’équilibre. Nous montons encore quelques marches. A droite notre chambre aux couleurs vanille-fraise avec un grand matelas par terre. Le couloir mène ensuite vers la pièce principale qui fait office de salon et de cuisine. Il y a l’électricité et même la télévision qui passe un téléfilm bollywoodien. Au milieu de la pièce, un petit fourneau. Gatuk nous prépare un chai d’accueil : thé au lait de yak. Pour allumer le feu, il va chercher un seau rempli de bouses de yak séchées.
Après nous être installés, nous allons faire un tour dans le village et montons jusqu’au bouddha qui trône sur une petite colline et semble surveiller le village. En revenant, nous visitons le rez-de-chaussée de la maison : c’est l’étable. Nous y apercevons la mère de Gatuk qui trait les deux yaks. C’est ici que la trentaine d’animaux passera l’hiver sans même une fois respirer l’air frais, ni voir la lumière du jour et ce de novembre à mars. Ici, les animaux et les gens partagent la même maison.
Nous retournons à la pièce principale. Gatuk a commencé à préparer le repas du soir. Il est en train de faire cuire les Chapatis (pain sans levain) au feu de bois bouse de yak. Les parents, la sœur et l’oncle de Gatuk nous rejoignent. Assis sur des matelas autour du fourneau, nous partageons le repas du soir composé d’un plat de haricots à l’ail, d’un Dhal (soupe de pois chiches et de haricots rouges) et de Chapatis. Nous goutons également à une excellente production maison : un vin fait à base d’orge. Vous connaissez vos deux serviteurs, plusieurs verres ont été servis. Il est temps d’aller dormir.
Le lendemain matin, avant notre départ, la mère de Gatuk, nous a préparé un petit déjeuner : chapatis à la pomme de terre et yaourt au lait de yak accompagné d’un chai.
Nos têtes et nos estomacs étant rassasiés, nous remercions la famille pour ce temps d’immersion (bien que trop bref pour apprendre le dialecte et donc pouvoir réellement converser) qui nous a été donné d’expérimenter.
Comme si souvent, les découvertes apportent plus de questions que de réponses. Néanmoins nous avons pu observer au fil des jours que le mode de vie difficile et la rudesse du climat, poussent les gens à s’entraider et à être honnêtes entre eux. Seul en ces terres, on ne ferait rien. Tout ceci n’altère en rien la joie de vivre : en témoignent les nombreux sourires qui nous ont accueillis dans tous les villages où nous sommes passés.
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